Club « Éthique & Politique »

Président d'Honneur : Max CAVAGLIONE, Commandeur de la Légion d'Honneur

Président : Jean-Christophe PICARD

Jean-Michel GALY

 

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Aux origines de l'éthique politique

Je connais Max CAVAGLIONE depuis de nombreuses années et j’ai toujours plaisir à entendre le cri d’un honnête homme. Ce soir, il n’a pas failli à la tâche en nous faisant entendre, sur la manière dont est gérée Nice, le cri d’un honnête homme qui ne supporte plus que la politique soit malhonnête.

C’est que la politique devrait être liée à l’éthique. Il y a là un lien ancestral qui a sans doute suscité chez Jean-Christophe PICARD l'idée saugrenue d’inviter, à vous dire quelques mots, un professeur de civilisation ancienne. Sans doute, les propos que je voulais tenir ici paraîtraient à certains perdus dans les nuées si je ne faisais pas le lien avec ce que vient de dire Max CAVAGLIONE.

J’ai bien entendu ce qu’il a dit. J’ai bien entendu, aussi, les cris des révolutionnaires de 1789. Et si on prenait les procès-verbaux des séances, on s'apercevrait que ces cris étaient, en quelque sorte, mâtinés, incrustés dans un vieux débat qui remonte jusqu’aux origines du débat politique. En fait, on est jamais sorti du débat initial. Et si, de réunions en réunions, on a toujours l’impression que le travail est à remettre à l'ouvrage, c’est que, depuis le début, les mêmes problèmes se posent aux mêmes individus et les mêmes interrogations finalement surviennent à la question de savoir s'il faut une éthique à la politique.

Par ma spécialité je vous apporte un scoop – vous ne vous serez pas déplacés pour rien – : la politique n’a pas toujours existé. Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas parce que deux hommes se sont rencontrés, que trois ont fondé une collectivité, qu’il y a eu la politique. La politique, comme son étymologie l’indique, a une naissance historique : elle date, en effet, du 6ème avant Jésus Christ. Auparavant, on avait des régimes théocratiques, un peu comme celui du Vatican. L’éthique était simple : c’était la route des dieux ; l'éthique politique se confondait avec l’éthique religieuse.

Et puis, il est arrivé un moment où on a manifestement décidé d’extraire la politique du religieux. C'est-à-dire qu’il y a eu un moment ou la politique n'avait plus d’assise éthique car elle n’avait plus d'assise religieuse. C’est alors que c’est posé le même problème qu’aujourd'hui : dans l’organisation des collectivités humaines, y-a-t'il une ligne de conduite qui prime sur l’affrontement des intérêts particuliers et des intérêts de factions ?

Donc, le problème date modestement de 25 siècles et le cri que pousse Max CAVAGLIONE est un écho moderne à tellement d’échos qui ont retenti depuis l’antiquité, sans parler des grands hommes qui, de la révolution française jusqu’à nos jours, ont poussé exactement le même cri. Et Jean-Christophe PICARD a raison : il faut une éthique à la politique.

Une éthique à la politique, ça veut dire quoi ? Au départ, à partir du moment où la politique est soustraite de la religion, le problème qui se pose est de savoir comment gérer sans pouvoir religieux. Jusque-là, c’était simple : un seul gérait. Mais désormais, la question est de savoir combien de gens met-on en politique ? Faut-il les mettre tous ou seulement quelques-uns ? Est-ce que l’on ne met que ceux qui ont de la fortune – c’est ce que l'on appelle la démocratie censitaire – ou bien est-ce que l'on met tout le monde ? C’est ainsi que, rapidement, se créait la pierre de touche de notre monde moderne, le modèle de toute les démocraties : la démocratie athénienne. Je vous signale que, si l'Union Européenne a décidé de s’adjoindre la Grèce, ce n’est pas uniquement parce que la Grèce est en Europe, ce n'est pas uniquement pour le plaisir de lui donner des subventions peut-être plus importantes qu'aux autres pays, c’est aussi parce qu'elle est l'expression d’une certaine mentalité, d’une certaine conscience du politique qu’est la démocratie, car c’est elle qui a mis en place le système démocratique avec ses évidences et, en même temps, ses avancées remarquables.

Là encore, je vais vous apporter des informations stupéfiantes… J'ai entendu Max CAVAGLIONE nous parler du cumul des mandats : il retarde sur l'antiquité. D’emblée, ce problème s’est posé. À Athènes, on faisait participer tout le monde à la décision politique. D'ailleurs, les anciens mettaient symboliquement la politique au milieu, et les citoyens, qui entouraient le centre, devaient avoir chacun la même part du politique. Pour cela, il fallait que la rotation de ceux qui étaient en charge des décisions fusse rapide. C'est ainsi que, non seulement les grecs ont inventé le non-cumul des mandats, mais encore, ils ont inventé ce qui, pour le moment, n’est toujours accepté par aucun parti politique, le non-cumul des mandats dans le temps. Car sinon la rotation des responsabilités n’est pas suffisante et les citoyens ne participent pas pleinement à la vie politique. Ainsi, un citoyen qui avait exercé un mandat pendant quelque temps devait, le temps suivant, revenir à la base. Donc la première éthique a été la mise en place d’un système permettant à chaque citoyen de participer, à part égale avec les autres citoyens, à la chose publique.

Mais, les grecs se sont posés une autre question. Certes, il fallait une démocratie totale, mais pour quoi faire ? Était-ce pour grossir démesurément ? Était-ce pour se gaver de biens, comme le dénoncer à l'instant Max CAVAGLIONE ? Était-ce pour faire de l’hypertrophie, pour devenir obèse ? Fallait-il se gaver de murailles, de fortifications, de trières, de boucliers ? Fallait-il devenir de plus en plus gros, avoir un empire de plus en plus énorme ? Bref : est-ce que le but de la gestion d’une collectivité est l’accumulation matérielle ? L'accumulation matérielle, bien que collective, se conjugue toujours avec l’accumulation matérielle individuelle des dirigeants. Les grecs ont alors posé comme principe que l'objectif de la gestion démocratique des hommes devait être, non pas l’accroissement matériel, mais l’accroissement moral ; c'est-à-dire que le but de la gestion des sociétés devrait être de faire progresser la collectivité vers la vertu. On posa comme principe que, non seulement, il ne fallait pas se gaver matériellement, mais il ne fallait pas se gaver de lois, parce que celui qui se gave de lois ressemble au malade qui se gave de médicaments et qui, plus il prend de médicaments, plus il est malade. Ce n'est pas les cités qui ont le plus de lois qui sont meilleures que les autres. Les grecs ont senti, d'une certaine manière, qu’il fallait bien un certain nombre de règles morales, de grands principes qui puissent faire progresser les citoyens vers la vertu. L’éthique est un mot grec qui signifie le pli, le pli de l'âme : c'est donc l'ensemble des grands principes qui permettent de progresser dans la vertu.

Qu'ont mis les grecs sous ce terme de vertu ? Il ont mis essentiellement l’éducation, l'éducation civique au sens large du terme, c'est-à-dire l’éducation politique. Ils souhaitaient faire marcher l’ensemble des citoyens vers la vertu par l'éducation, c'est-à-dire privilégier ce qu’il y a de plus spirituel, de plus intellectuel. Et ils fixèrent des principes en fonction de cet objectif pour que la politique parvienne à réaliser son objet qui est de rendre les Hommes plus vertueux. Constatons qu'aujourd'hui ce n'est pas le cas. Quels que soient les partis politiques, la culture est considérée comme ce supplément d'âme que l’on n'atteint jamais parce que l'on n'a jamais l’occasion de l'atteindre. Elle est traitée, généralement, à la fin d'un Conseil Municipal.

Alors, si vous le voulez, je terminerais par ce qui est traditionnel dans l’antiquité : un petit mythe, qui pourra alimenter notre discussion. PLATON nous dit, dans  « Le Protagoras » que, quand le démiurge eut fini de faire la Terre, il confia son peuplement à des dieux secondaires. Ce fut d’abord les animaux qui sortirent à la lumière. A l'animal qui était un peu lent, on donna une carapace, à un autre, on donna la vitesse… Bref : on dota chaque animal de qualités. Mais il y eu un moment où il n’y eut plus de qualité. Et, quand l'Homme sortit de terre, il n’y avait plus rien à distribuer. Il était donc tout nu, sans défense. Le petit dieu qui s'occupait des Hommes se dit qu’il faudrait que ceux-ci forment une collectivité car l’union fait la force. Si les Hommes arrivaient à vivre ensemble, ils pourraient résister aux animaux. C'est pourquoi, le dieu secondaire eut l'idée de donner la politique aux hommes. Mais seul ZEUS possédait l'art de la politique. Alors le petit dieu alla trouver le démiurge. Et ZEUS, dans sa grande bonté, donna à l’homme l’art de la politique. Les Hommes ont alors pris l’habitude de se réunir, ils ont appris à vivre ensemble et donc à essayer de se supporter. Depuis ce moment-là, tout va plus ou moins bien, certains sont plus politiques que d'autres, sont plus vertueux que d’autres.

Il faudrait tellement que, par une espèce de réflexion collective – et je félicite encore Jean-Christophe PICARD de la mener –, nous soyons capables de dégager ces grandes lignes de force qui permettraient aux collectivités de s’arracher du gavage de conditions matérielles pour enfin accéder à la vertu politique, dont le mythe nous dit qu’elle est la seule qualité qui n'était initialement détenue que par le démiurge.

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