Club « Éthique & Politique »

Président d'Honneur : Max CAVAGLIONE, Commandeur de la Légion d'Honneur

Président : Jean-Christophe PICARD

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Débat sur « La Conquête de Clichy »

Jean-François KNECHT et Teresa MAFFEÏS

Jean-Christophe PICARD (Président du Club « Éthique & Politique ») : « Je ferai juste deux observations pour alimenter le débat. La première, c'est que Didier SCHULLER se laisse filmer ! Il apparaît évident qu'il assume tout ce qu'il dit et ce qu'il fait... Cela est symptomatique de l'absence de repères moraux chez certains élus : ils ne savent plus ce qui est bien ou ce qui est mal. La deuxième observation, c'est que SCHULLER a gagné l'élection ! Il a fait une campagne parfaitement ignoble... et il a gagné le canton ! Et ensuite, il a gagné la mairie de Clichy ! Bon, après, il a été en fuite... C'était d'ailleurs un trajet que l'on pouvait deviner en voyant ce documentaire. Dans tous les cas, il a quand même gagné. Alors, est-ce que MACHIAVEL a raison : est-ce que la fin justifie les moyens ? »

Jean-François KNECHT (Conseiller Général et candidat) : « Je vous rassure de suite. J'ai été élu au Conseil Général, il y a trois ans... Ca me fait un peu drôle de voir ça car, bien entendu, je suis loin d'avoir fait le millième de ce qu'à fait SCHULLER et il se trouve que j'ai été élu. Et pour répondre à Jean-Christophe PICARD, je crois que, ce qui est important, c'est d'être en accord avec sa conscience. Pour ce qui me concerne, j'ai été élu en 1998 sans avoir à employer les grands moyens. En tout cas, la réponse à la question est claire depuis longtemps dans mon esprit : je préfère perdre et conserver ma fierté et mon honneur que gagner en faisant un tant soit peu ce qui s'est vu dans ce documentaire. »

Teresa MAFFEÏS (Présidente de l'Association pour la Démocratie à Nice et dans les Alpes-Maritimes) : « Je voudrais poser une question aux hommes politiques qui sont présents. Ce que l'on a vu là avec SCHULLER, je suppose que cela doit se reproduire dans tous les camps politiques. La conquête du pouvoir vous oblige quand même tous à tenir des discours qui ne sont pas toujours les vôtres. On voit d'ailleurs dans le documentaire, au moment de la remise des colis aux mamies, que les discours du maire socialiste et du candidat RPR ne sont pas très différents. »

Marc CONCAS (candidat) : « J'ai une approche diamétralement opposée à celle de SCHULLER. Les campagnes que j'ai menées sont toujours les mêmes : il n'y a pas cette armée de militants qui font un quadrillage quasi-militaire, sans même se poser la question de savoir ce que souhaitent les gens ! D'ailleurs, la femme de SCHULLER le dit : "on n'a pas de programme !". Bon, je vous l'avoue : moi-aussi, je fait la bise à tout le monde. J'ai infiniment de plaisir à saluer les gens, à les embrasser, à discuter avec eux... Ce que je fait là n'est pas quelque chose de choquant. Quand on est candidat à une élection, on doit toujours tester un petit pouvoir de séduction, mais on ne perd pas son âme pour autant. On peut être quelqu'un d'ouvert, d'avoir envie de discuter, d'avoir envie de communiquer sans le faire de manière aussi scandaleuse que ce que l'on a pu voir ce soir. Il y a deux manières de faire des campagnes électorales : on peut faire comme cette dame d'un certain âge – que l'on voyait au début du documentaire – qui tente de remettre des tracts et personne ne les lui prend. Il y  peut-être un problème de méthode. Si elle arrive avec des documents en se contentant simplement de les distribuer, sans dire qui elle est, pour quelles raisons elle le fait et quelle est le message qu'elle veut faire passer, à l'évidence cela n'intéresse pas l'électeur. Ce qui l'intéresse, c'est que l'on dialogue avec lui. C'est très compliqué dans un canton qui a 15 000 habitants mais, si on n'a pas assez de temps, on peut au moins passer 5 à 10 minutes avec un petit groupe d'individus, faire des réunions publiques... C'est le travail que j'essaye de faire.  »

Nicole CARDINALI : « Première chose : je n'ai pas été choquée par le nombre de militants qu'avait SCHULLER car je pense que c'est plutôt positif d'avoir assez de gens pour quadriller la ville, passer l'information, discuter avec les gens... C'est pas là-dessus que je vais critiquer SCHULLER. La deuxième chose c'est que, en ce moment, on voit des tas de "nouvelles boutiques" – c'est comme ça que je les ai perçu – avec chacune sa devanture et moi je trouve ça très choquant. Ces gens-là ne sont présents que un mois avant les élections dans ce qu'ils disent être leur quartier. Ce n'est pas de boutiques que l'on a besoin, mais de gens qui soient vraiment du quartier, tout le temps, et qui puissent exprimer réellement les problèmes de ce quartier, rencontrer les gens en permanence parce qu'ils sont partie prenante de la vie du quartier. »

Daniel BRUN (candidat) : « Ce que je voulais rajouter c'est que, effectivement, en politique, il faut convaincre, il faut séduire. Là-dessus, je crois que tout le monde est d'accord. On n'est pas toujours disposé à faire un beau sourire, mais c'est indispensable, le contact est important (même si les bises, c'est un peu trop). On est obligé de constater dans le documentaire que le candidat socialiste était plus réservé que SCHULLER. Au niveau du fond : on voit très bien que SCHULLER n'a rien : il n'a pas de programme, il considère que les gens sont juste là pour mettre un bulletin de vote. Par contre, que l'on trouve un travail à quelqu'un qui est dans la misère, je trouve ça bien. Il n'y a pas de honte à mettre les gens en relation. C'est un peu le but de la politique : faire plaisir aux gens, leur rendre service. Il faut savoir que la plupart des gens pose des problèmes sociaux aux candidats et aux élus. On arrive au clientélisme lorsque l'on donne des solutions aux gens avec l'argent public et là, il y a quelque chose d'intolérable ; d'autant que c'est argent ne va pas aux plus pauvres mais aux plus aisés. »

Jean-Yves FEBEREY (candidat) : « J'ai été très impressionné par cette espèce de gouaille RPR qu'a SCHULLER. J'ai été stupéfait de voir à quel point ça prend. Je pense que ce n'est pas fondamentalement étonnant qu'il est connu une telle carrière avec un tel charisme ; le charisme est quelque chose de très vibratoire et tout le monde vient vibrer avec lui.  On voit que M. SCHULLER était très entouré, très soutenu, qu'il avait une garde reprochée... Autre chose : le seul moment où l'on entend le candidat socialiste, c'est quand il se renie lui-même en tant qu'homme de gauche, lorsqu'il rassure une vieille électrice en disant que "l'endroit réservé aux SDF est très discret, caché"... Ca passe très très mal alors que l'autre dit ce qu'il veut et ça passe très bien. »

Anonyme : « On a l'impression que SCHULLER est raciste parce qu'il voit que ça marche avec la population ! »

Anouar BRIKI : « Lorsqu'on repense à la vieille dame qui distribue des tracts au début du documentaire, on voit qu'elle aborde les blancs d'une façon et les immigrés d'une autre façon... Pourquoi ? Parce que, tout simplement, les immigrés, n'ayant pas le droit de vote, ce n'est pas la peine de leur donner un tract. D'ailleurs, dans le quartier de l'Ariane, il y a une sélection qui est faite : on donne des tracts à ceux qui on la tête pour voter et on n'en donne pas aux autres. Je remarque que, dans les secteurs de l'Ariane qui ne sont habités que par des immigrés, il n'y a pas un seul homme politique qui y met les pied. Est-ce que, pour être citoyen, c'est la nationalité qui doit primer ou le lieu habitation ? Pour payer des impôts, il n'y  pas de distinction mais, lorsqu'il s'agit de mettre un bulletin, ça pose problème ! Je pense que, sur cette question, il faut vraiment avancer. Le droit de vote des immigrés est quelque chose de très important. Que ça ne fasse pas au niveau d'un scrutin national, je comprends très bien parce que ça touche à la souveraineté, mais au niveau local, ça ne pose pas de problème. Il y a des citoyens qui ne doivent pas être oubliés. Je trouve anormal que ma mère, qui habite Nice depuis 30 ans, ne vote pas alors qu'un belge qui vient de s'installer depuis 6 mois a cette possibilité. »

Anonyme (candidate) : « Lorsque SCHULLER promet du travail aux gens , je pense que ce sont de fausses promesses. Il dit : "on va vous trouver du travail", il cite toujours les mêmes connaissances... mais en vérité, il ne trouvent rien ! Ce sont des arnaques ! Par ailleurs, je pense qu'en politique, il n'y a plus d'idéologie : les gens de gauche et de droite ont tous le même discours. Moi, ce qui me frappe, c'est la sécurité. Pourquoi tout le monde parle de sécurité à Nice ? On en arrive à faire des études de marché et on dit ce que les gens veulent entendre ! »

Anonyme : « Est-ce que l'on peut faire autrement ? La politique c'est un métier. Un homme politique c'est quelqu'un qui va avoir un boulot pendant 5 ou 6 ans et qui va être payé. C'est normal qu'il fasse du marketing ! »

Azzedine BLIDI (candidat) : « Le documentaire pose une vraie problématique : celle de la place de la politique dans la société, de la place du discours politique dans la société. Ce soir, on s'intéresse au candidat mais Il faut regarder les gens pour voir combien ils sont à des années lumières de la politique ! Quant on rédige un programme, on vous dit : "ça c'est trop compliqué, il faut l'éliminer !". Pour porter nos valeurs, il faut arriver à former les gens car les citoyens ne sont pas formés à la politique, alors que la politique concerne tout le monde. Le problématique n'est donc pas la place de la politique dans la société, mais la place de la société dans la politique et dans le discours politique. Les gens ne sont pas formés au discours. MÉGRET, lui, forme ses cadres à la rhétorique politique. Quand vous lisez ses phrases, il y a des choses qui semblent innocentes mais qui agissent sur l'inconscient. Aujourd'hui, c'est vraiment du marketing : chaque mot d'un programme électoral est pensé. Le vrai enjeu, c'est de former des citoyens qui soient en capacité de décrypter le discours politique. Il faut se rappeler que le but de la politique, dans l'antiquité, c'était d'accroître la vertu, c'était de mener toute une population vers la connaissance. Il faut former les citoyens à l'école.

Anonyme : « Il faut mieux, effectivement, avoir des candidats qui ont un programme... mais ce n'est pas tout d'avoir un programme et de belles paroles, il faut qu'ils soient suivi des actes ! Au plan local, les hommes politiques ne subissent pas trop de pression, mais lorsqu'ils montent dans le système, ils ne prennent plus en compte les intérêts des citoyens mais ceux des lobbies. C'est pour ça qu'il n'y a plus de contact entre les citoyens et les élus. »

Jean-François KNECHT : « Il me semble, quand même, que cette forme de campagne celle de SCHULLER commence à dater. Elle n'a que sept ans mais je crois que, aujourd'hui, quelqu'un de gauche ou de droite qui mettrait en place une opération aussi caricaturale que celle-là ne réussirait pas à gagner l'élection. Mon sentiment, c'est que l'on va de plus en plus vers le citoyen-consommateur. Le citoyen-consommateur veut en avoir pour son argent, il se laisse de moins en moins attirer par les écrits ou les paroles démagogiques, il compare les avantages et les inconvénients. La deuxième chose que je voulais dire par-rapport aux questions qui ont été posées, c'est que je crois qu'il y a une contradiction entre ce que veulent les gens en théorie et en réalité. Les gens, simultanément, demandent au député de faire le travail pour lequel il a été élu (c'est-à-dire de faire de lois, de voir comment elle sont appliquées, d'avoir une vue d'ensemble de la société, etc.) mais en temps, il lui demande d'être là à l'apéritif du clôt bouliste, à l'Assemblée Générale du comité de quartier... Sauf que ce n'est pas possible concrètement ! Et on retrouve ça pour tous les mandats. Le Conseiller Général, par exemple, doit s'occuper à la fois du département et de son canton. Je représente le département dans un organisme, l'Entente Interdépartementale pour la Protection de la Forêt et de l'Incendie, et je vais à toutes les réunions, mais les électeurs de mon canton en n'ont peut-être rien à faire que je m'occupe de la protection de la forêt... Autre exemple : la demande de la "rue" – si j'ose dire – c'est de ne pas avoir à faire à des hommes politique professionnels, donc les élus doivent avoir un travail, des loisirs, etc. Sauf que, c'est la même chose : on ne peut pas tout faire en même temps. Il y a là un décalage, une contradiction. »

Jean-Yves FEBEREY : « Je voudrais revenir sur le discours politique... Chez MÉGRET, on disait qu'il y a des choses qui ne paraissent pas méchantes, je le crois tout à fait. Et ça, c'est dangereux car on finit par avoir un discours qui noie tout. On finira par ne plus voir de différence entre les tracts de gauche et les tracts de droite. »

Jean-Claude BOYER : « Ce film montre quelque chose qui me préoccupe beaucoup, que je considère comme l'état limite de la démocratie : le populisme. Quand on voit SCHULLER parler dans les bistrots, il exploite la trouille populaire... et le maire socialiste fait la même chose ! Par manque de courage, les hommes politique vont dans le sens des fantasmes des gens. »

Jean-Christophe PICARD : « Tout à l'heure, je disais qu'il y avait un problème de repères moraux chez les candidats et les élus, mais je crois qu'il y a manque de repères moraux aussi chez les citoyens. Lorsqu'on demande à certaines personnes  : "qu'est-ce que c'est un bon élu ?",  ils vous répondent que "c'est quelqu'un qui a trouvé du boulot à mon fils, un logement à ma fille, etc." . On a parlé des députés... J'en connais un qui ne va pas à l'Assemblé Nationale faire des lois mais qui va à tous les enterrements des habitants de sa circonscription ! Et ça marche ! C'est pourquoi, dans notre club, on essaye de réfléchir à la fois sur l'éthique des élus, des candidats et des militants mais aussi sur celle des citoyens. Il faut dire aux gens : "vous savez, ça ne sert pas à ça un élu, normalement, il va à l'Assemblée Nationale faire des lois et, si vous ne le voyez pas à l'apéritif du clôt bouliste, c'est qu'il est en train de travailler ! C'est le cas d'André ASCHIERI qui a fait une loi qui est géniale, la loi "santé-environnement", qui va changer notre vie et celle de nos enfants. C'est à nous, associations-relais, de dire aux citoyens : "vous savez il y des vrais élus qui existent et qui ne seront peut-être pas réélus si vous ne vous mobilisez pas !". Dans ce cas, il faut que, le jour de l'élection, il n'ait pas 50 % d'abstention ! »

Anonyme : « Il y a un moment que j'ai trouvé très significatif : quand SCHULLER dit que l'on ne voit qu'un ou deux français de toute la matinée dans le quartier... C'est significatif car SCHULLER pense que les passants ne sont pas français au motif qu'ils sont basanés ! »

Anouar BRIKI : « À un moment donné, on voit deux personnes faire le programme... Ils trouvent une idée nouvelle : faire participer les habitants ; c'est ce qu'on appelle, aujourd'hui, la "démocratie participative". C'est très important de faire participer les habitants : on ne peut pas mener de politique sociale, culturelle, sportive, etc. sans tenir compte des points de vue des citoyens. Je remarque que, dans ce domaine, on n'y arrive toujours pas. »

Frédérique GRÉGOIRE (candidate) : « Je trouve que la place de la femme, dans ce documentaire, est particulièrement  caricaturale. C'est Madame SCHULLER qui a le discours le plus terrible, le plus racoleur... Son mari est monstrueux à son égard quand il lui dit "si tu étais intelligente, tu mettrais les tracts à cet endroit !".  C'est également monstrueux à l'égard des autres femmes que l'on voit : les petites vieilles médisantes, etc. Toutes les femmes que l'on voit dans ce documentaire sont des caricatures ! Peut-être que la loi sur la parité, si elle est utilisée correctement, permettra de changer cette image particulièrement grossière. »

Teresa MAFFEÏS : « On est maintenant obligé de libérer la salle. Je vous remercie et à bientôt ! »

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